LA TRIBUNE : Dans quel état d’esprit sont les grandes villes après le retour du confinement ?
JOHANNA ROLLAND : Nous nous sommes réunis mardi matin (le 3 novembre, Ndlr) en visioconférence pendant près de deux heures. Nombreux sujets ont été mis sur la table, provoquant de denses et riches échanges entre nous, et en premier lieu la situation sanitaire.
Les niveaux de l’épidémie restent encore différents selon les territoires, où de 30 à 80% des lits de réanimation sont occupés. La situation est particulièrement grave.
Toutes les sensibilités politiques constatent en outre une très forte hausse de la pauvreté dans nos métropoles, mais la réponse de l’Etat reste largement insuffisante avec seulement 0,8% du plan de relance consacré à la question.
En première ligne, les associations nous alertent et nous devons déclencher des premières mesures, mais il nous faut des moyens de fonctionnement. Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas de réponse du gouvernement, alors que nos dépenses de solidarité apportent des filets de sécurité. Nous avons donc décidé de confier au maire de Nancy et président de la Métropole du Grand Nancy, Mathieu Klein, un groupe de travail dédié.
Vos collectivités ont d’ailleurs déjà perdu des milliards d’euros depuis le début de la crise sanitaire. Entre la territorialisation du plan de relance et la loi 3D qui arrive au Parlement, espérez-vous toujours l’autonomie financière ?
Nous sommes unanimes sur la question des finances locales. Quid de l’autonomie des collectivités sans liberté de financement et sans garantie sur les recettes? Nous attendons ce tournant qui est absolument indispensable, mais nous n’avons obtenu aucune réponse.
La France demeure un pays jacobin et centralisé. Or, il ne peut y avoir de nouvelle étape de la décentralisation sans réelle autonomie des collectivités. A ce stade, nous entendons un Premier ministre attaché au rôle des territoires, mais nous attendons toujours, fortement et fermement, une traduction de ces éléments.
A cet égard, le sujet du versement transport est une question d’équité. Si elle est réglée pour les autorités organisatrices de mobilité structurées en syndicats, à l’image de la solution trouvée par le gouvernement pour Ile-de-France Mobilités, elle ne l’est pas pour la majorité d’entre elles qui ne sont pas en syndicat mixte. Ce sera un manque à gagner annuel de 10 à 20 millions d’euros pour nos finances dès 2020. Nous nous situons à un moment important, étant attendus sur la relance du pays.
Dans nos colonnes la semaine dernière, la ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales Jacqueline Gourault annonçait justement le déblocage de 16 des 100 milliards d’euros sous formes d’enveloppes régionalisées. Certain(e)s président(e)s de région aimeraient récupérer l’ensemble des compétences économiques…
Ce débat a déjà été tranché lors de l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). La constitution des grandes régions renforce en outre cette nécessité de partager ces prérogatives entre eux et nous.
Autre grand axe du plan de relance : la transition écologique. Comment articuler les actions de l’Etat et des métropoles ?
La transition écologique et énergétique pèse pour un tiers du plan de relance, conformément aux obligations réglementaires de l’Union européenne. C’est pourquoi je peine à voir le volontarisme écologique. Voulons-nous une relance à l’identique d’avant-crise ?
Aussi est-ce un thème que je souhaite pousser particulièrement à la tête de France urbaine. Les métropoles représentent 70% des émissions de gaz à effet de serre. Autant il est possible de les voir comme une part du problème. Pour autant, je considère qu’elles sont une part de la solution.
Si nous voulons davantage de durabilité, nous devons conjuguer les enjeux de transition écologique et de croissance économique. La ministre du Logement Emmanuelle Wargon nous a proposé un temps de travail avec elle. Nous l’avons accepté dans une logique de responsabilité.
Les professionnels de l’immobilier regrettent que la construction neuve soit la grande oubliée de France Relance, alors que les villes attirent toujours plus d’habitants.
Il faut regarder la politique du logement comme un continuum : du logement social au logement libre en passant par le logement abordable.
La baisse des impôts de production va en revanche vous impacter directement. Comment allez-vous y faire face ?
J’adopte clairement une position pour le moins circonspecte. Lors de la dernière rencontre Etat-collectivités, nous avons eu un échange assez vif sur le sujet. Cette situation vient s’ajouter à une situation préexistante où l’autonomie financière des collectivités, qui ont engagé des dépenses très fortes comme l’achat de masques, a été mise à mal. Pour l’heure, l’idée d’un fonds de compensation n’a pas non plus obtenu de retour favorable.
Croyez-vous en un exode urbain durable ?
Cette question monte médiatiquement, mais la réalité est plus nuancée. La France est au contraire de plus en plus urbaine. 8 Français sur 10 vivent dans des unités urbaines, et même 9 sur 10 dans l’aire d’attraction. Nous ne pouvons pas dire que le mouvement s’est inversé. Quand la ville-centre perd des habitants, c’est au profit des communes voisines. De même que quand un Parisien part, c’est souvent pour la petite ou la grande couronne, l’Oise ou le Loiret, ou pour s’installer dans une autre grande ville du pays.
Cela ne vous oblige-t-il pas à repenser le cadre de vie des métropoles ?
A Nantes nous avons lancé une enquête auprès de 2.300 habitants ainsi qu’une consultation auprès de l’ensemble des résidents. Aspirent-ils à une plus grande qualité de vie ou à un aménagement du territoire différent ?
Il en ressort un premier enjeu sur la non-artificialisation des terres, mais je pense qu’il se jouera d’abord sur les lieux de développement économique et une meilleure répartition des emplois. Deuxième priorité : l’accès à la culture, aux commerces ainsi qu’aux services publics et sanitaires.
Ces sujets valent tant pour nos espaces ruraux que pour nos quartiers populaires. Nous avons besoin de la ville comme nous avons besoin de campagne et nous ne gagnons rien à instrumentaliser l’un contre l’autre. Une des réponses passe par la déminéralisation, la reconquête de la biodiversité et la diminution des îlots de chaleur ou encore la reconnexion des espaces fonctionnels pour réduire les mobilités.
C’est cela l’alliance des territoires, que votre association défend ?
Sortons effectivement du modèle d’opposition villes-campagnes et de la théorie du ruissellement et passons au modèle d’après, celui qui recherche les interactions. Ni les uns ni les autres ne serons jamais autosuffisants, ne serait-ce que d’un point de vue alimentaire ou énergétique. C’est tant mieux, car c’est cela qui fait notre complémentarité.