Ouverture des GEOPOLITIQUES
Vendredi 2 octobre 2015 – 14 h
Le Lieu Unique
Monsieur le Directeur de l’IRIS (Pascal Boniface)
Monsieur le Directeur du Lieu Unique, Cher Patrick,
Cher Erik Orsenna,
Mesdames, Messieurs,
Nous ouvrons ensemble, aujourd’hui, les troisièmes Géopolitiques de Nantes.
Je le dis d’emblée, ce n’est pas, j’en suis convaincue, un hasard si ces rencontres qui nous parlent du monde se tiennent ici, à Nantes. En effet, l’ouverture au monde, la volonté de s’en inspirer, mais aussi, en toute modestie, de lui apporter notre contribution, voilà qui est profondément inscrit dans l’histoire de notre ville, dans l’histoire de Nantes la tolérante où fut signé l’Edit qui porte son nom, Nantes la ville carrefour ouverte sur le monde qui fut au 18ème siècle le premier port d’Europe. Et Nantes dans son histoire a aussi connu des heures sombres, celles de la traite négrière. Depuis ¼ de siècle, Nantes a choisi de regarder en face cette part de son histoire et cela s’est notamment traduit par un mémorial à l’abolition de l’esclavage sur le quai de la Fosse, là d’où partaient les bateaux de cet odieux commerce. Une telle histoire, dense et contrastée, prédispose, je crois, à réfléchir sur le monde, à essayer de le comprendre, sans occulter les parts sombres, mais en soulignant ce qui est porteur d’espoir.
Mais naturellement l’ouverture de Nantes au monde n’est pas seulement le produit d’une heureuse conjonction de l’histoire et de la géographie. Elle est aussi, elle est surtout, le produit d’une volonté affirmée, d’un choix politique. Nantes n’a de cesse, depuis un quart de siècle, de conforter cette orientation. L’attention aux autres cultures, la coopération avec d’autres villes et territoires, l’échange d’expériences sont au cœur de notre projet et nous enrichissent.
C’est à mes yeux une absolue nécessité, non seulement parce que cela nous fait progresser, nous permet de construire, par l’échange et la confrontation d’expériences, des politiques publiques plus efficaces, mais aussi parce que c’est en se hissant au niveau international qu’une Métropole assure son dynamisme. C’est particulièrement vrai dans le cadre européen. A Nantes, nous nous battons en permanence pour renforcer notre dynamisme économique, conserver notre longueur d’avance, conforter l’indispensable solidarité entre les habitants et les territoires. Pour toutes ces raisons, nous savons bien, combien l’Europe est utile, et combien il est important d’y faire entendre sa voix, en coopération avec les territoires qui nous entourent. Nous avons en effet, nous, les grandes villes, nous les territoires de l’Ouest de la France, des valeurs à promouvoir, une expérience à partager qui, je crois, peuvent contribuer à faire progresser notre continent, au bénéfice de ses habitants. Car, si je crois l’Europe indispensable, je mesure bien que tout n’est pas parfait au niveau européen. Nous pouvons, avec nos sensibilités, souhaiter des réorientations, des inflexions. Nous pouvons, à la lumière de notre expérience, suggérer des améliorations, quelquefois très pratiques, de bon sens.
Et c’est pour cette raison que j’ai souhaité que Nantes prenne la présidence d’ Eurocities, ce réseau de 130 métropoles qui se sont regroupées pour faire entendre la voix des villes, bien sûr, parce que nous sommes persuadés que les Villes, par les exceptionnelles potentialités qu’elles concentrent, par leur faculté d’impulsion, sont porteuses de solutions pour l’ensemble des territoires, notamment sur des sujets aussi importants que les services publics, l’emploi des jeunes ou encore la responsabilité sociale environnementale. C’est un moyen de contribuer à améliorer la vie de chacune et chacun. C’est aussi, en montrant que l’Europe est porteuse d’améliorations concrètes, un vecteur essentiel du rapprochement entre les citoyens et l’Europe.
Alors oui, Nantes est ouverte au monde, curieuse de ce qui s’y déroule. Et le spectacle du monde est riche. L’actualité internationale est dense et très souvent complexe. Que penser ainsi du brusque décrochage des bourses chinoises, du ralentissement économique de l’Empire du Milieu, qui paraît si brutal, si contraire à cette perspective d’une croissance exponentielle sans fin que l’on croyait promise à ce pays ? Et surtout quelles perspectives cela ouvre-t-il pour le Monde, pour son économie, pour celle de notre pays ?
Et cette actualité n’est pas seulement constituée de chiffres et d’événements lointains, désincarnés. Parfois, de plus en plus souvent, elle frappe à notre porte. C’est alors la réalité crue, brutale, d’un Monde en turbulence qui s’invite dans nos vies, qui bouscule nos consciences.
Qui ne se souvient de la photographie de ce petit garçon, Aylan SHENU, mort sur une plage turque, le visage tourné vers le sable, entre la mer qui l’avait rejeté et une terre qui ne voulait pas de lui ? L’image est poignante, insoutenable. Elle a, Dieu merci, frappé les esprits et provoqué un élan. Nous y avons d’ailleurs ici, à Nantes, pris toute notre part. Dans la fidélité à nos valeurs, j’ai pris très tôt la décision d’engager Nantes au sein du réseau des villes solidaires et volontaires pour accueillir des réfugiés. Car il s’agit bien d’une question de valeurs, de valeurs essentielles. Nous avons le devoir, impératif, d’aider ces réfugiés, de soulager leur détresse en les mettant à l’abri dans des conditions dignes. C’est une question d’humanité. C’est notre responsabilité devant l’histoire, devant notre histoire, celle notamment qu’a forgée la République. Et nous avons aussi le devoir d’expliquer cette démarche, en particulier à celles et ceux qui ici souffrent du chômage ou qui cherchent à se loger. Il nous faut faire preuve de pédagogie, il nous faut expliquer que ce qui est donné aux uns n’est pas retiré aux autres. Et naturellement, au-delà de cet accueil immédiat, indispensable, il faut construire des solutions aux conflits qui provoquent ce drame atroce, à ces affrontements qui déchirent la Syrie et l’Irak et déstabilisent ainsi tout le Proche Orient. Tâche ardue, on le sait bien. Mais je me refuse à croire qu’elle serait impossible.
Je pourrais aussi évoquer d’autres lieux encore où s’écrivent les malheurs du monde, souvent loin de l’intérêt des médias. L’Ukraine toujours déchirée, la paix perpétuellement à construire en Afghanistan, la Lybie qui n’en finit pas de sombrer dans le chaos ou la Somalie qui n’en sort pas, depuis maintenant plus de 20 ans, en constituent quelques exemples.
Mais, parce que tout ne saurait être tragique, il y a aussi des évolutions, des transformations qui portent en elles, mélangés, presque indissociables, risques et opportunités. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et leur évolution permanente, les progrès de la Médecine et la croissance de la population qu’ils permettent, la raréfaction de certaines sources d’énergie et l’émergence des énergies renouvelables… On pourrait multiplier les exemples de ces défis qui sont autant d’opportunités. Le changement climatique en fournit, je crois, une bonne illustration. Nous connaissons tous l’ampleur du phénomène, et la gravité des conséquences qu’il comporte, à l’heure où les experts se font de plus en plus catégoriques sur les dangers que fait courir à notre planète le réchauffement provoqué par l’homme. Jamais il n’a été aussi urgent d’inventer des solutions et surtout de les appliquer. Mais la prise de conscience qui s’opère, la mobilisation des acteurs qui s’effectue, sont autant de raisons d’espérer. La Cop 21, qui va se tenir très prochainement à Paris, marquera, de ce point de vue, une étape fondamentale. J’ai d’ailleurs voulu que Nantes apporte sa part à ce qui sera, je l’espère, un succès. Dans cet esprit, pour que la COP 21 soit un départ et non pas une fin, Nantes, accueillera en septembre 2016 un sommet mondial des acteurs de la société civile, pour tirer le bilan des débats de Paris et mobiliser pour concrétiser les décisions. Car je crois que sur ce sujet aussi, les territoires, les acteurs de terrain, ont un rôle particulier à jouer, qu’ils peuvent apporter leur expérience, leur connaissance, mais aussi bien sûr leur énergie et leur engagement.
De ces enjeux, de cette complexité du monde que je viens, très brièvement, très sommairement, de donner un aperçu, nous avons bien sûr tous conscience. Mais il faut aller au-delà du constat. Il faut comprendre.
Il faut comprendre, en premier lieu, parce que c’est un enjeu en soi, parce que cela nous élève.
Il faut comprendre, pour que la réflexion tempère l’émotion, parce que cela nous protège contre les réactions instinctives, émotionnelles, contre les peurs irraisonnées dont font commerce les démagogues. Notre pays n’est hélas pas exempt de ces individus qui aiment attiser les haines, qui profitent de ces tristes circonstances pour se forger une pathétique notoriété.
Il faut comprendre aussi pour agir et pour agir de manière pertinente. Naturellement, sur ces questions internationales, c’est au niveau des Etats et des très grandes organisations que les décisions se prennent, que les actions qui changent les choses peuvent être entreprises. Mais nous avons, toutes et tous, une influence. Il faut l’exercer à bon escient.
Nous sommes des électeurs, nous sommes des citoyens. Mais pour exercer cette influence à bon escient, il faut, je le répète, être informés, il faut comprendre.
Or, pour cela, le flot continu d’informations auquel nous avons toutes et tous accès ne saurait suffire. Il est presque contre-productif. Ce déversement permanent de faits, sans décryptage, sans hiérarchie, entretient la confusion. Un évènement chasse l’autre, surtout quand il est tragique. Nous le constatons par exemple à propos des attentats qui ont frappé notre pays en janvier. Passé le temps de l’horreur et de l’émotion, le temps de la sidération, on n’en parle déjà presque plus. Or, c’est maintenant qu’il faut échanger et agir, pour éradiquer ce qui a rendu ce drame possible. C’est maintenant et sur le long terme, qu’il faut faire vivre, par ces actions concrètes, au plus près des gens, nos belles valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et bien sûr de laïcité.
Il faut donc d’autres lieux, d’autres moments. C’est une nécessité. C’est aussi, j’en suis certaine, une demande. Nos concitoyens ont soif d’apprendre et de comprendre. Il faut faire le pari de l’intelligence. Et c’est vraiment ce que font les Géopolitiques, dont le succès, jamais démenti, démontre bien cette volonté d’un public nombreux de bénéficier d’un décryptage de l’actualité internationale. Et cela sera encore, naturellement, le cas cette année.
Après votre leçon inaugurale, cher Erik Orsenna, que vous allez consacrer aux « dernières nouvelles du monde », avec, je crois, une attention plus particulière au partage de l’eau et à la fragilité des deltas, se succèderont de nombreux ateliers, que je ne vais naturellement pas énumérer ici. Tous sont passionnants, tous concernent des questions qui nous parlent vraiment du monde, n’oubliant pas des sujets parfois peu traités ou trop superficiellement, comme l’émergence de l’Inde en tant que puissance ou d’autres qui pourraient presque nous faire sourire mais nous renseignent, quand on s’y attarde, sur les évolutions contemporaines, je pense ici à la géopolitique de la gastronomie.
Je veux vraiment, en conclusion de mon propos, adresser mes remerciements aux organisateurs des Géopolitiques. Merci donc à l’IRIS et plus particulièrement à vous, M. Boniface. Merci au Lieu Unique et à son Directeur, Patrick Gyger. Avec les Géopolitiques, le Lieu Unique montre, une fois de plus, qu’il est un des lieux essentiels de la culture à Nantes, qu’il contribue de manière éminente au débat d’idées si important pour la vitalité intellectuelle d’une ville. Et merci enfin à vous, cher Erik Orsenna, de votre présence aujourd’hui parmi nous.
Il me reste à vous souhaiter d’excellentes Géopolitiques, de fécondes et passionnantes réflexions sur notre monde, pour mieux le comprendre et pour agir, car, pour reprendre la belle formule de Saint-Exupéry, « pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible. »