Il y a trois ans, vous annonciez à Tourcoing (Nord) un grand « plan de mobilisation nationale » pour les quartiers populaires. Votre discours était alors très attendu ; un mois plus tôt, un millier d’élus locaux et d’acteurs issus du monde associatif, de l’entreprise et du syndicalisme s’étaient rassemblés à Grigny pour protester contre la suppression des contrats aidés et la baisse des dotations destinées aux villes pauvres.
Au terme de cette prise de parole forte, vous aviez demandé à Jean-Louis Borloo de « remettre les gants pour aider à la bataille » et mobilisé près de 200 bénévoles (élus, associatifs, entrepreneurs, syndicalistes, universitaires, artistes, citoyens…) autour de l’élaboration d’un « plan de marche ».
De cette co-construction, unique dans l’histoire de la politique de la ville, était sorti le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand la République. Pour une réconciliation nationale » ; 19 programmes et 48 mesures « simples, robustes, évaluables et complémentaires » destinés à recréer une cohésion urbaine, sociale et républicaine. Concomitamment à ce travail, le Pacte de Dijon associait plus de 80 présidentes et présidents de communautés et métropoles qui s’engageaient à agir en matière de développement économique, d’emploi, de mobilités et d’habitat et appelaient à un partenariat renforcé avec l’Etat dans les domaines de l’éducation, de la santé de la
sécurité et justice.
Ce rapport anticipait en grande partie la situation que nous connaissons aujourd’hui : « Notre pays est à un carrefour : assumer le repli sur soi et l’affaiblissement, avec la spirale de l’incompréhension, de la rupture et de l’affrontement, laissant les ennemis de la République occuper le terrain, ou décider que notre grande Nation est riche du potentiel de cette jeunesse et forte des qualités de sa diversité. (…) A défaut, fermenteront loin des yeux, le recroquevillement identitaire et le repli communautaire si trop de concitoyens ont le sentiment de ne pas participer au rêve républicain ».
Alors que ce plan avait vocation à être mis en oeuvre de façon globale dans les 1514 quartiers prioritaires de Métropole et d’Outre-Mer, seules quelques mesures éparses bien souvent portés par les villes ont pu être engagées, (uniquement 4 avec le portage de l’Etat !). Le 2 octobre dernier, vous avez affirmé que 70% du plan était aujourd’hui devenu réalité ; nous sommes loin du compte…
Ce rapport préconise un changement radical de méthode qui n’as pas vu le jour : « Il faut mettre en mouvement chacun de ces programmes en même temps afin de provoquer un effet blast et une dynamique extrêmement puissante. C’est un plan de réconciliation nationale. C’est parfaitement réalisable, très rapidement, à condition que : – Chacun des 19 programmes soit piloté en tant que tel et par une ou deux personnalités reconnues ;
– Un chef d’état-major et une équipe de très haut niveau soit mise en place pour impulser, coordonner et adapter l’ensemble du plan. Une personnalité qui aura l’autorité suffisante donnée par le Président de la République »
Le virus du décrochage républicain
Trois ans après le discours de Tourcoing, l’ambition que vous aviez formulé de « changer le visage de nos quartiers (…) d’ici la fin du quinquennat » a fait long feu. En outre, la crise sanitaire du Covid-19 et les attentats terroristes de ces dernières semaines ont bousculé nos vies, et face à ce nouveau contexte, le sentiment qui domine est celui de non-assistance à territoires en danger.
En dépit des alertes, les villes et quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance : aucune mesure ambitieuse n’a été prise pour répondre à la détresse sociale et économique qui frappe nos communes. Pire, la surmortalité Covid y est malheureusement démontrée (selon l’étude menée par Guy Burgel de l’université de Paris-Nanterre). La précarité du travail s’accélère alors même que les habitants ont été en première ligne (personnels soignants, caissières, logistique, déchets…).
Cette inertie se paie cash, et se développe aujourd’hui dans nos quartiers et même au delà un autre virus, celui du décrochage à la République. Il serait injuste de pointer du doigt l’ensemble de nos concitoyens qui, comme tout un chacun, se battent quotidiennement pour travailler, se loger dignement, élever leurs enfants et se construire un avenir. Mais de la même manière, Monsieur le Président, il serait irresponsable de nier que la haine et le repli sur soi prospèrent à mesure que la rupture sociale et la pauvreté augmentent.
Partout sur le terrain, les signaux sont au rouge :
• Les demandes d’aide alimentaire d’urgence explosent : +28% à Hérouville- Saint-Clair (Calvados), +21% à Allonnes (Sarthe). A Mantes-la Ville (Yvelines), le nombre de tickets alimentaires distribués par le Centre communal d’Action Sociale a doublé entre 2019 et 2020 tandis qu’à Roubaix, l’équivalent d’une année d’aide alimentaire a été distribué en 3 mois ! Enfin, dans certains territoires, les épiceries solidaires ont vu leur fréquentation croître de 100%…
• La demande de RSA progresse massivement : entre octobre 2019 et octobre 2020, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 17% dans la Sarthe et de 17,5% dans les Yvelines. Depuis le début de l’année 2020, ce chiffre a augmenté de plus de 20% à Grigny (Essonne) et Hérouville-Saint-Clair (Calvados), son augmentation est de 7% à La Courneuve. A Arras (Pas-de-Calais), il a même été multiplié par 2 !
• Le chômage augmente : +13% à Chanteloup-les-Vignes et Mantes-la-Jolie (Yvelines), +8% à Strasbourg (Bas-Rhin), +11,3% à Allonnes (Sarthe). A Reims, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie B est passé du simple au double !
• Les inscriptions dans les associations culturelles et sportives ont massivement diminué : -28% dans les associations culturelles de Poissy (Yvelines), -23% dans les clubs sportifs d’Allonnes (Sarthe), -25% pour les associations de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), -43% pour celles d’Arras, -50% à Grigny.
La confiance est l’huile du moteur républicain
Cette situation n’est pas une fatalité, Monsieur le Président. Notre pays a traversé de très nombreuses crises dans son Histoire ; nous savons par expérience que le désespoir et la division sont nos pires ennemis. Pour leur faire barrage, renouons avec la confiance et le sens du collectif !
À l’heure où nos villes sont sous pression, où nos habitants se précarisent, où nos associations s’éteignent, où les idéologies mortifères se développent, où les difficultés débordent, faisons le pari ensemble d’une nouvelle confiance dans nos territoires pour faire gagner la République !
Mais cette nouvelle confiance exige sans plus attendre des actes forts, des moyens conséquents pour stopper l’hémorragie à laquelle nous devons faire face.
Nous vous proposons la mise en oeuvre de mesures immédiatement opérationnelles
La situation des quartiers est telle qu’il nous faut renforcer la République, on ne mène pas une bataille aussi fondamentale pour le pays sans troupe.
Le nouveau pacte de confiance repose d’abord sur le vote au parlement du Plan du Relance. Il est crucial que ce Plan de 100 milliards d’Euros consacre et sanctuarise 1% de solidarité pour les territoires en décrochage. Ce milliard permettra d’abonder prioritairement :
Ø Création d’un fond d’urgence pour les associations oeuvrant pour la jeunesse et les publics en difficulté. Co-piloté par les villes, il sera doté d’une enveloppe annuelle de 100 millions d’euros.
Ø 200 millions d’euros pour les comités locales de solidarité pour les villes pauvres permettant de venir en aide a la détresse des personnes, aux aides alimentaires… il est indispensable de renforcer ces acteurs de ces quartiers
Ø Création d’un fond de soutien à la mise en place de maisons médicales et de centres de santé dans les villes pauvres ou en voie de paupérisation. Celui-ci sera doté, dès son lancement, de 200 millions d’euros.
Ø 120 millions d’euros pour la mobilisation des acteurs de l’emploi.
Par ailleurs il permettra de mettre en place ces autres propositions :
Ø Généralisation des clauses d’insertion (soit portées par les entreprises ellesmêmes soit déléguées à un acteur de l’économie sociale et solidaire) dans tous les marchés publics et particulièrement dans le cadre de Paris 2024.
Ø Création de 7000 postes aidés « médiation et tranquillité publique » (ASVP, médiateurs) dans les quartiers prioritaires.
Ø Développement d’un plan national de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme dont l’objectif sera de diviser par deux le nombre de personnes en situation d’illettrisme d’ici 2025.
Ø Lancement de 200 plateformes de mobilité dans les villes les plus enclavées (territoires urbains et ruraux).
Ø Renforcement des programmes d’éducation aux médias et au numérique dans le secondaire (collèges et lycées).
Afin de suivre ces mesures, de les encadrer et de ne pas laisser sommeiller, et de s’assurer que les mesures déjà en place sont bien appliquées (loi sur le peuplement), nous vous demandons de créer un Conseil National des Solutions qui sera composés d’élus, d’associatifs, de fonctionnaires, d’entrepreneurs et d’universitaires tous bénévoles et nommés pour un mandat maximum de 2 ans nous renouvelable et dont la mission sera de favoriser l’essaimage des solutions qui fonctionnent.
Dans ce cadre nous souhaitons la mise en place de collectifs pour l’emploi et la formation dans les 100 villes les plus pauvres de France, regroupant les entreprises, les syndicats, les associations et les élus.
Installation d’un fond de 75 millions d’euros pour aider l’amorçage des projets ce qui représente 0,5% de la dotation du Plan d’Investissement dans les Compétences.
Pour renforcer la confiance nécessaire entre tous les Français et parce qu’il est trop souvent dit que l’argent distribué dans les quartiers l’est fait en pure perte, nous nous engageons à ce que le Conseil national des Solutions rende compte chaque trimestre de ses actions et de ses résultats. De plus chaque mois le Conseil National des Solutions mettra en avant une thématique (emploi, santé, mobilité …) au travers de ce que les derniers mois nous ont appris à faire des visios conférences qui regrouperont acteurs, élus et bénéficiaires pour partager les bonnes pratiques et en favoriser leur essaimage.
Parce-que le logement reste le fondement de la famille « le nid » ces mesures doivent être accompagnées d’investissements supplémentaires de l’ANRU (qualité du cadre de vie, rénovation énergétique …)
Monsieur le Président, nous sommes prêts à nous mobiliser, à agir et à travailler dès demain pour la mise en place de ces actions, les 5,6 millions d’habitants de nos quartiers revendiquent leur souhait de faire partie intégrante de la République.