Le 8 mars est souvent l’occasion de rappeler que partout sur la planète, il reste encore des droits à conquérir pour les femmes. Des droits qui ouvrent des libertés : liberté de conduire, se vêtir, de travailler, d’étudier, d’aimer. Liberté de vivre comme on l’entend, sans tutelle juridique ni contrôle social.
Mais une fois ces droits proclamés, nous n’atteignons toujours pas l’égalité à laquelle nous avons pourtant droit.
Quand 70 % des travailleurs pauvres sont des femmes, quand 30 % des femmes sont à temps partiel le plus souvent subi, quand les femmes sont payées 20 % de moins que les hommes, que reste-t-il de la liberté de travailler ?
Quand 40 % des femmes ont renoncé à fréquenter un espace public à cause d’une parole ou d’une attitude sexiste, que 100 % des femmes ont subi un harcèlement sexiste ou une agression dans les transports en communs franciliens, que reste-t-il de la liberté de se déplacer?
Quand les experts invités à parler dans les médias sont à 80 % des hommes, que 55 % des élèves des Conservatoires sont des femmes, mais qu’elles ne représentent ensuite que 3 % des chef-fe-s d’orchestre, que reste-t-il de la liberté de s’exprimer, de créer?
Les femmes sont aujourd’hui encore trop souvent rendues invisibles dans la société : leur rôle économique, social ou intellectuel est bien souvent minoré. Et plus les femmes sont fragilisées, plus elles disparaissent de notre champ de vision. Corinne Masiero, Virginie Despentes ou Florence Aubenas l’ont chacune raconté à leur manière : quand une femme connaît une rupture dans son parcours de vie, elle devient plus vite et plus longtemps invisible aux yeux de la société. Elle se cache, parce que la précarité peut rapidement faire d’elle une proie, parce que l’espace public, notamment la nuit, est avant tout masculin, parce que la honte pèse plus fortement sur ses épaules, parce que des siècles d’inégalité lui ont appris à ne pas réclamer trop.
On sous-estime la force et l’énergie de ces femmes qui ont connu des ruptures de vie et qui se sont accrochées, à leurs ambitions, à leurs rêves, à leurs espoirs pour leurs enfants, pour avancer. Et qui savent combien respecter et réinsuffler de la dignité à celles et ceux qui souffrent est essentiel pour se reconstruire et construire une société plus juste, plus solidaire.
Les femmes qui se battent contre cette invisibilité sont parmi mes plus belles rencontres d’élue et de femme.
Je pense à ces militantes associatives qui ouvrent des lieux dans nos quartiers pour redonner de la dignité aux invisibles. C’est par exemple le café au P’tit Bonheur, au Breil, qui va frapper aux portes de celles et ceux qui n’ont parfois plus l’occasion d’avoir de vraies conversations dans la journée, la semaine ou le mois et leur offre un lieu dans lequel on prend soin d’eux, en ne leur demandant rien d’autre que de saisir la main qu’on leur tend. Pour la tendre à leur tour en devenant responsables de ce café. Mais je pense aussi à ces médiatrices ou directrices de maison de quartier qui vont parfois bien au-delà de leur fiche de poste pour reconstruire du lien social, retisser de la confiance avec celles et ceux qui ne croient plus en leur potentiel.
Je pense à toutes ces femmes qui se battent, au quotidien, pour la dignité de leur cadre de vie. C’est cette représentante des locataires au conseil d’administration de Nantes Métropole Habitat qui se mobilise pour que chacune et chacun puisse se sentir bien dans son logement. Ce sont ces femmes qui s’engagent pour la propreté parce qu’elles ne veulent être fières de leur quartier.
Je pense à ces femmes qui accompagnent les plus vulnérables, sans-abris, prostituées, consommateurs de drogues et leur permettent de faire une halte, sans jugement mais en protégeant le plus possible leur intégrité physique et psychique.
Je pense enfin à toutes ces artistes, ces créatrices, qui mettent leurs talents au service de celles et ceux qui n’ont plus envie de rêver, pour remettre des mots et de l’imagination dans une vie parfois chahutée.
Quand il s’agit de voir et d’entendre les invisibles, les femmes sont souvent en 1e ligne pour répondre collectivement. C’est une richesse collective et une qualité individuelle qui ne doit pas devenir une limite.
Car il faut rappeler aux petites filles comme aux jeunes femmes qu’elles ont le droit d’être visibles. Qu’elles ne prennent la place de personne en poursuivant leurs rêves, leurs envies, leurs ambitions. Il n’y a ni fatalité, ni causalité. C’est par l’éducation que l’on ancre chaque jour dans la tête de nos enfants que filles et garçons sont égaux en droits comme en dignité. Et que prendre soin les uns des autres, faire preuve de solidarité et redonner un visage et une voix aux invisibles n’est pas l’apanage des femmes qui ont souffert mais la responsabilité des citoyennes et des citoyens que nous sommes.